Épidémie oblige, le « bureau » de nos ordinateurs n’aura jamais si bien porté son nom : salle de classe pour les uns, desk de télétravail ou guichet de Pôle Emploi pour les autres, il concentre depuis quelques semaines l’ensemble de notre vie active… si tant est qu’il soit raccordé au réseau. Dans plusieurs centaines de communes, installées en zone blanche, les habitants sont sans internet-fixe. Chez eux, la lutte pour la connexion au réseau a redoublé d’importance depuis le début du confinement.
Pour les collectivités, cette situation a tout pour devenir un véritable casse-tête : devraient-elles freiner la dématérialisation de leurs services pour ne laisser personne sur le bas-côté, au risque de ne pas assurer pleinement la continuité du service public ?
La réalité des zones blanches
François* réside à L’Habit, petit hameau de la commune d’Échallat dans le département de la Charente (Nouvelle-Aquitaine). Cela fait des années qu’il réclame, avec ses voisins, de pouvoir capter le réseau mobile depuis chez lui et de profiter d’une connexion Internet digne de ce nom. « La nouvelle antenne relais devait arriver en janvier 2020. Aujourd’hui, le pylône est bien là, mais non câblé, et on ne capte toujours pas ». Fin 2019, la Mairie lui a annoncé que les différents opérateurs s’étaient mis d’accord, et qu’une antenne serait installée à Douzat, à 3 km. « Mais depuis, on nous a dit qu’il faudrait à nouveau patienter car le le câble prévu était trop court. Là-dessus il y a eu le coronavirus, et depuis, plus de nouvelles ». En ce qui concerne la fibre, la situation n’est guère plus reluisante : « Ah, la fibre ! Le Conseil a bien commandé l’installation des gaines, mais depuis Noël, elles restent vides, ce qui contribue à me consterner ». Après s’être adressé en vain à sa mairie, sa communauté de commune et son département, François reste pragmatique : « Le problème, c’est que l’État annonce des plans de grande envergure, mais que leur mise en œuvre concrète revient à une myriade d’acteurs privés et publics aux moyens d’action parfois limités ».
François vit dans ce qu’on appelle une zone blanche, c’est à dire un territoire non desservi par les réseaux de téléphonie mobile ou par Internet. Là-bas, la vie a parfois des airs du début des années 2000 : on regarde la TV via son antenne râteau, on troque son GPS pour des cartes papier et on regarde des films en insérant un DVD dans le lecteur. Parfois, on prend même sa voiture pour s’en aller recevoir des SMS sur la butte la plus proche.
Une web-série rafraîchissante sur le numérique en territoire rural
Des citoyens de seconde zone ?
En temps de confinement, cette déconnexion forcée soulève de nouvelles problématiques puisqu’il faut travailler et effectuer ses démarches à distance, et donc en ligne. Ce sont ainsi 18% des 130 000 agents du Ministère de l’Économie qui sont confinés chez eux sans pouvoir travailler, certains parce que leur mission ne sont pas adaptées au télétravail, d’autres parce qu’ils sont privés d’une connexion internet suffisante. Par ailleurs, l’Éducation Nationale annonce que 5 à 8% des élèves n’ont pas pu bénéficier de l’enseignement à distance parce qu’ils sont touchés par ce qu’on appelle la fracture numérique, faute de connexion ou d’équipement.
Pour ne rien arranger, les entreprises chargées du raccordement, mises en veille à l’occasion du confinement, auront du mal à tenir la cadence promise par le gouvernement. Selon Infranum, qui fédère les professionnels du secteur, l’activité liée au déploiement de la fibre optique a baissé de -70% depuis mars, doublant le coût d’installation par prise.
Ce n’est pas une fracture mais une « double fracture » numérique
Les débats enflammés d’une assemblée fictive sur le service public
Comme François, 6,8 millions de français – soit environ 10% de la population française – sont privé de réseau mobile et d’un débit internet suffisant. Fait aggravant, cette réalité a été minorée pendant de longues années : alors que le nombre de villages connectés augmente, le nombre des nouveaux territoires à raccorder augmente également. Les chiffres sont éloquents : en 2016, 97 villages ont été identifiés en zone blanche, et en 2017, 273. Il faudra attendre juin 2018 pour bénéficier d’une bonne visibilité sur la question. À cette date l’’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) crée le premier tableau de bord trimestriel sur la question.
Comme François, 6,8 millions de français – soit environ 10% de la population française – sont privé de réseau mobile et d’un débit internet suffisant. Fait aggravant, cette réalité a été minorée pendant de longues années : alors que le nombre de villages connectés augmente, le nombre des nouveaux territoires à raccorder augmente également. Les chiffres sont éloquents : en 2016, 97 villages ont été identifiés en zone blanche, et en 2017, 273. Il faudra attendre juin 2018 pour bénéficier d’une bonne visibilité sur la question. À cette date l’’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) crée le premier tableau de bord trimestriel sur la question.
La connexion du territoire en quelques cartes
Dématérialisé, télé-travaillé : le service public ne tient-il qu’à un câble ?
Du côté des administrations, il a bien fallu s’adapter. « C’est certain que nous avons eu des inquiétudes lorsqu’il a fallu basculer du jour au lendemain pour assurer l’activité du service à distance » explique ainsi Pascal Mouche, Directeur Général des Services de la Communauté de Communes du Grand Autunois Morvan (CCGAM). Dans ce territoire à dominante rurale, pourtant relativement épargné par les zones blanches, les réalités d’accès au réseau restent variables. Ainsi, si les 14381 habitants d’Autun profitent de la fibre optique avec un fort débit, les 47 habitants de Collonge-la-Madeleine n’ont par exemple sont toujours en ADSL en bas débit.
Pour accompagner les plus isolés, un mémento pratico-pratique a ainsi mis à disposition des maires pour distribution. Il répertorie les adresses et numéro de téléphone utiles pour services aux personnes (services de portage de repas, associations de lutte contre l’isolement et la précarité, etc.)
Cela n’empêche pas la Communauté de Commune d’utiliser pleinement le potentiel offert par le numériques pour le mettre au service de ses administrés. « La dématérialisation qui apparaissait comme une opportunité hier, est devenue une obligation aujourd’hui » explique Pascal Mouche, notamment au sujet du chantier de décentralisation du système de paie mené l’an passé avec son service. Convaincus de l’intérêt de maîtriser les outils numériques, la collectivité propose ainsi depuis longtemps des ateliers de formation dans ses cinq pôles de proximité, ainsi que des accompagnements dédiés aux entreprises dans la pépinière numérique créée sur le territoire. « Le confinement a bien montré l’importance de la maîtrise du numérique. Sans outil de commande en ligne, les entreprises doivent plier boutique ». En attendant que les inégalités de connexion se résorbent, il espère ainsi « faire du numérique un outil de solidarité et de proximité ».
Service public : ON / OFF
Complexe, la question des zones blanches soulève la difficile articulation entre les trois grandes règles qui structurent le service public : continuité, égalité, et adaptabilité. Faut-il se priver du pouvoir d’Internet au nom de l’égalité d’accès ? Après tout, l’instance nationale de défense des droits des personnes, soulignait que « si une seule personne devait être privée de ses droits du fait de la dématérialisation d’un service public, ce serait un échec pour notre démocratie et pour l’Etat de droit ». Que faire alors ?
Un petit rappel des trois grandes règles d’or du service public
« Ce n’est pas “tout ou rien”, ni “noir ou blanc” synthétise Pascal Mouche. L’essentiel est d’être bien conscient de la diversité de réalités à laquelle nous avons affaire : 4G, ADSL, zone blanche… C’est pourquoi nous veillons à avoir toujours plusieurs cordes à notre arc, et de diversifier les canaux de communication auprès des administrés. En multipliant les efforts, nous sommes capables de faire en sorte que nos populations aient l’information, et plutôt deux fois qu’une ».
Il ne s’agit donc pas de rejeter en bloc le numérique et sa capacité à offrir des services aux populations. Dans son rapport publié à l’occasion du confinement, France Stratégie résumait ainsi la situation : « Le numérique a tenu ses promesses : continuité de service et acceptation sociale du confinement…», tout en rappelant qu’il peut être, certes, un « accélérateur de nouvelles inégalités » mais aussi un véritable « amortisseur social de la crise ». Ne reste alors qu’à avancer les yeux grands ouverts, pour cultiver ce qu’il peut nous apporter de bon, sans le considérer pour autant comme la réponse à tout.
Zones blanches en monde urbain
* le nom a été changé