Le décret GBCP est entré en vigueur en 2016. 6 ans après, où en sont les établissements publics ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Quels ont été les bénéfices générés via cette réforme majeure de la finance publique ? Philippe Baron(1), Expert-comptable et Directeur des activités de conseils Services Publics chez Emerson Audit, spécialiste de la GBCP, a accepté de répondre à nos questions. La GBCP est-elle une alliée précieuse pour le pilotage des établissements publics ? Coup de projecteur sur un décret appliqué par plus de 700 établissements français.
[1] consultant expert-comptable, vice-président du Groupe Service Public de la DFCG et directeur des activités de conseils secteur public chez Emerson Audit et Conseil.
Eksaé : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs initiaux de ce décret et les apports attendus ?
Philippe Baron : Il a été très rapidement compris que ce décret constituait une révolution dans la manière d’administrer, de gérer, de piloter les établissements publics.
En premier, la GBCP a pour objectif de mieux formaliser le cadre budgétaire : mieux définir les règles de fonctionnement de la comptabilité budgétaire :
- élaborer les prévisions,
- piloter le budget selon un rythme continue de programmation,
- et, surtout, assurer la soutenabilité des dépenses et des budgets.
Le 2e objectif de la GBCP visait à fiabiliser la qualité de l’information tant comptable que budgétaire, privilégiant :
- une articulation entre comptabilité budgétaire et comptabilité générale,
- une anticipation des flux comptables et budgétaire – d’où une gestion par autorisation d’engagement.
La fameuse chaîne de la dépense est un instrument de base de fonctionnement de tout EP, il était nécessaire de la fluidifier !
Quels ont été les points de difficulté dans la mise en œuvre de ce décret ?
Tout naturellement, vu l’ampleur de la réforme, certaines difficultés sont apparues dans la mise en œuvre.
Premier point, faire cohabiter les deux piliers de la gestion : la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale. Il faut piloter avec ces 2 instruments. La comptabilité générale fonctionne en droits constatés. La comptabilité budgétaire privilégie une gestion par nature, par destination, autour des autorisations d’engagement et des crédits de paiement.
Il existe ainsi une dichotomie entre ‘je gère mon budget en engagement et je consomme mes engagements juridiques’ et ‘je consomme des services faits’ : problème pour réconcilier les résultats. Aujourd’hui, beaucoup ont du mal à faire cohabiter un solde budgétaire avec un résultat comptable et une situation patrimoniale.
Le décret a-t-il permis une meilleure programmation budgétaire ?
Le décret impose l’élaboration des prévisions appuyées par une soutenabilité budgétaire plus développée. L’objectif est d’établir des prévisions au rythme d’exécution de l’engagement que va réaliser l’entité publique, et selon une visibilité pluriannuelle.
La 2e chose, c’est qu’il faut suivre l’exécution et essayer de reprogrammer en continu – ou du moins régulièrement – ces prévisions (au vu des résultats) afin d’évaluer précisément la tenue des objectifs fixés et le respect des échéances.
Certains établissements publics y parviennent. A noter, cela n’est pas indispensable dans tous les domaines, rythmés par des cycles stables dans le temps.
La mise en place du service fait consistant à marquer dans le système d’information la réalisation pratique de la prestation ou d’un bien, même si la facture n’a pas été réceptionnée, est une source d’amélioration considérable. Cela fiabilise la comptabilité : l’EP voit très vite si la prestation a été réalisée ou non et peut la valoriser en fonction du montant de la commande. La liquidation de la facture est ensuite très simple à rapprocher du service fait. Cela procure une plus grande fiabilité et justesse de la comptabilité.
De plus, tous les justificatifs sont de plus en plus dématérialisés : preuves de réalisation, services faits, bons à payer, demandes de paiement… Avec un workflow structuré, au sein d’un SI unifié, le quotidien de l’ordonnateur et de l’agent comptable est facilité.
Avez-vous constaté des disparités par secteur ou taille d’organisme dans la mise en place de comptabilité analytique ?
Cela dépend des sujets et domaines .Certains secteurs, comme le social, ont bien avancé sur la comptabilité analytique, par exemple. Comme la maille des destinations est assez large, au bout du compte on arrive toujours à faire les regroupements. Mais ce n’est pas automatique et il serait assez intéressant de pouvoir faire un lien beaucoup plus étroit et automatique d’ailleurs entre les notions de destinations et de découpages analytiques.
Mais la comptabilité analytique est encore embryonnaire. On ne fait pas une comptabilité analytique pour regarder les coûts une fois par an, mais pour sensibiliser les responsables sur des résultats tant économiques que techniques. Cela devrait être un véritable outil de pilotage du centre de coûts ou de résultats.
A noter, pour une petite entité, la comptabilité analytique n’est pas nécessairement utile.
La production des états réglementaires pose-elle des difficultés ?
Aujourd’hui, toutes les solutions informatiques (ERP ou solution financière) disposent d’outils de requêtage et de report permettant d’aller naviguer dans les données et de produire, notamment les états réglementaires. Prenons l’exemple de l’état de l’autorisation budgétaire, il est simple à mettre en œuvre. Le véritable sujet concerne la qualité des informations recueillies : sont-elles à jour, fiables, validées ? Sans données de qualité, l’état a peu de valeur, quelles que soient ses colonnes et rubriques.
Les établissements publics sont davantage confrontés à des difficultés pour alimenter les états que pour les construire.
Dans le cas des états de suivi budgétaire, c’est un peu plus complexe : les faits générateurs qui constatent la réalisation ne sont pas forcément les mêmes en fonction des rubriques de nature ou de dépense. Il faut que l’agilité du SI permette de trier les flux en fonction de leurs faits générateurs afin d’éviter de compter deux fois la même chose, ou d’omettre des informations. C’est un premier élément important.
Le 2e élément important sur ces états concerne la réconciliation entre solde budgétaire et comptabilité générale. L’état de synthèse est compliqué, de nombreux écarts existent. La comptabilité budgétaire fonctionne sur des dépenses qui ont des décaissements. Or la comptabilité générale utilise des charges telles que des droits constatés et des provisions, des variations dans le stock… Donc un écart naturel existe. Si on fait une analyse comparative tous les mois, on n’y arrive pas : c’est une gymnastique compliquée !
Il faut aussi essayer de progresser pour réconcilier comptabilité générale et comptabilité budgétaire.
Un EP ne se pilote pas avec le compte de résultat, il se pilote avec le budget, le solde budgétaire. Pour autant, c’est grâce à la comptabilité générale que l’on dispose d’une vision concrète du fonctionnement d’un établissement, en termes de moyens et ressources dont elle dispose et qui sert de base à la certification des comptes, lorsqu‘elle existe.
Quel bilan se dessine 5 ans après la mise en œuvre de la GBCP ?
La GBCP est passée dans les mœurs. Ça n’a pas été simple, certaines entités ont démarré plus tard que prévu grâce à des dérogations mais aujourd’hui tout le monde est au rendez-vous.
Le décret a apporté davantage de rigueur dans la comptabilité, dans les prévisions budgétaires, c’est indéniable. Il est toutefois nécessaire de poursuivre le travail sur l’harmonisation entre le résultat comptable et le résultat budgétaire.
Il est très important de rendre interopérables les systèmes d’information. Beaucoup d’événements proviennent des systèmes amont : une bonne gestion éviterait des opérations de corrections chronophages de ressaisies, de contrôles d’ajustements,…
Pour aller plus loin, on gagnerait à digitaliser davantage : avoir recours à des robots pour analyser, traiter les flux, enregistrer les factures, récupérer les services faits … Cette transformation numérique permettrait aux agents (ordonnateurs, agents comptables) de dégager du temps pour se recentrer sur leur cœur de métier : analyser les comptes et interpréter les informations.
Pour avancer au mieux sur ces sujets, il faut travailler ceux qui sont sur le terrain en ayant bien à l’esprit qu’il faut profiter des atouts du numérique, dans le respect de règles budgétaires et comptables améliorées et harmonisées.
Au-delà de la GBCP, des améliorations sont-elles possibles dans d’autres domaines ?
Très souvent, la gestion des interventions (octroi de subventions, de dotations, …) constitue le cœur de métier d’un établissement, représentant parfois jusqu’à 90 % des charges d’un établissement. Les frais de fonctionnement ne mobilisent que très peu de charges. Aujourd’hui, les subventions et les frais de fonctionnement sont dans le même plan de compte. Ce qui complique l’interprétation d’un résultat comptable en ne dissociant pas nettement le résultat issu du fonctionnement de l’établissement La comptabilité analytique devrait peut-être isoler les choses.
Autre point, l’agent comptable est en bout de chaîne et n’est pas impliqué à la source de l’information. Il serait utile que l’agent comptable puisse intervenir en amont de la liquidation de la dépense au moment où l’on passe en engagement juridique afin de vérifier que les imputations comptables soient justes par rapport à la nature de la dépense. Cela améliorerait la relation agent comptable – ordonnateur.
Troisième sujet, l’utilisation du SI comptable, ce qu’on appelle le SI financier, qui doit communiquer avec des systèmes métiers amont Il est important que dans ces systèmes il soit possible de gérer les conséquences comptables et budgétaires des événements qu’il traitent ; Par exemple, au moment de l’émission des titres de recettes, de l’octroi d’une subvention, de l’enregistrement d’une commande… Ce sujet a du mal à être bien traité, on parle d’interopérabilité des SI. Il va falloir également de l’interopérabilité « aval » entre le cœur finance et tout système de BI ou d’infocentre, afin de récupérer l’information, non seulement du cœur finance, mais aussi de tout ce qui est data pour pouvoir interpréter et produire les indicateurs de pilotage et tableaux de bord.
Dernier sujet, le contrôle interne. C’est là où l’informatique peut apporter une valeur ajoutée et être un compagnon indispensable. L’Etat a mis en place une procédure de contrôle interne budgétaire pour la soutenabilité du budget.
L’IA est un outil absolument indispensable pour une soutenabilité budgétaire beaucoup plus fiable ! Pour simuler des budgets, reprogrammer ce qu’on ne fait pas bien.
Merci Philippe, un mot pour conclure ?
Bravo à tous ceux qui ont participé à la conduite du changement, dans la mise en œuvre de ce décret. Ce décret s’applique à tous les opérateurs, soit environ 700 entités concernées. La GBCP a permis d’unifier le référentiel budgétaire et comptable, ce qui constitue une belle avancée. Surtout, les établissements publics disposent d’une visibilité pluriannuelle de leurs dépenses : en ce sens, la GBCP se positionne bien en tant qu’outil de pilotage !
Demain peut-être des collectivités locales ou d’autres établissements voudront s’en inspirer. Je pense qu’il serait intéressant de pouvoir segmenter par catégories d’opérateurs. Ce sont parfois des métiers très différents : université, établissement de santé, centres culturels, tous n’ont pas les mêmes problématiques. Il pourrait être intéressant d’adopter une approche sectorielle. Intégrer des nuances pour essayer de décliner le décret GBCP qui prendrait en considération les différences. C’est un axe de réflexion. Peut-être aura-t-il lieu !