La communauté des communes du Grand Autunois Morvan s’est lancée dans ses premiers chantiers de dématérialisation dès 2004. Elle continue d’avancer sur ce chemin aujourd’hui, aux travers des axes qui concernent aussi bien l’amélioration de l’expérience des usagers que la fluidification des processus internes. Pascal Mouche, son directeur général adjoint, revient sur les grands enseignements de cette expérience au long cours.
Quel est le périmètre du Grand Autunois Morvan ?
Nous sommes une communauté de 55 communes, regroupant 38 000 habitants sur un grand espace géographique de la région Bourgogne-Franche-Comté et nous fédérons énormément de compétences. Plus précisément, toutes les compétences des mairies nous ont été transférées, mises à part la moitié des responsabilités de voirie, l’Etat Civil, la vie associative, la gestion des cimetières et des centres culturels. Cela signifie que nous sommes une organisation très intégrée, qui s’appuie sur plus de 800 agents au quotidien. Au côté de la ville centre, Autun, nous nous appuyons sur 4 pôles de proximité pour déconcentrer une partie de nos activités. Nous avons également de nombreux sites et services distants répartis sur tout le territoire. L’un de nos premiers enjeux est d’ailleurs de mettre tout le monde en réseau, sans perdre la convergence stratégique de nos projets !
Que représente la dématérialisation dans ce cadre ?
La dématérialisation est un catalyseur pour faciliter cette « mise en réseau harmonieuse ». Nous sommes en apprentissage permanent et nous avançons par étapes. Nous avons notamment lancé début 2018 le travail de clarification des impacts réglementaires et juridiques qui croisent plusieurs de nos projets, du fait de l’entrée en application du Règlement général sur la protection des données à caractère personnel (RGPD). En tant qu’acteur public, nous avons en effet une obligation de réponse au niveau de la protection des données personnelles, mais aussi vis-à-vis des modes de fonctionnement devenus obligatoires, comme ceux impliqués par la dématérialisation des marchés publics. La dématérialisation n’est pas, dans ce cadre, une mode technologique, mais bien un ensemble de fonctionnements structurants, faits pour durer. Nous voulons donc aller, en ce sens, au-delà du minimum prévu par la loi.
Plus précisément, quels sont les axes sur lesquels vous avez travaillé ?
En soit, la dématérialisation recoupe des chantiers très vastes. Nous l’avons articulée autour de trois grands axes. En premier lieu, celui de la dématérialisation de la relation citoyen, sur lequel nous avons beaucoup avancé (voir encadré) et où notre expérience a pu servir d’inspiration à d’autres acteurs publics. Nous avons par exemple témoigné auprès du CNFPT de l’Ain sur le sujet. En résumé, l’ambition est bien de faciliter l’accès des citoyens à nos services.
Cela vous a-t-il obligé à changer vos fonctionnements internes ?
C’est le deuxième axe, sur lequel nous travaillons : la dématérialisation de nos relations interservices et notre modernisation administrative. Dans ce cadre, nous souhaitons que la dématérialisation soit un véritable fil conducteur pour la définition et la mise en place des nouveaux services de la communauté, et l’amélioration de nos fonctionnements. Ce qui compte c’est la recherche de cohérence et de bon sens pour l’ensemble de nos façons de faire : la dématérialisation nous pousse à définir une ligne de conduite en matière de workflow, d’archivage, de circulation des documents ou encore de validation. Il ne s’agit pas seulement de mettre en uvre une gestion électronique des documents (GED) : toute la valeur se trouve dans la dimension organisationnelle qui doit entrer en résonnance avec les outils déployés.
Quels sont les autres aspects sur lesquels vous espérez du changement ?
Le troisième axe d’attention est bien entendu financier. On doit se lancer dans de tels projets avec un but d’économies concrètes. Il est très difficile de déterminer à quel point cet aspect sera avéré après une transformation aussi importante, mais il est certain que les opportunités d’économies d’échelles sont partout. Sur l’usage du papier d’abord, mais aussi sur les aspects de télécommunication ou encore sur les gains d’efficacités dans nos modes de travail. Au final, il faudra voir l’ensemble des réalisations pour chiffrer les gains réels.
Quel a été le rythme du changement ?
Ce ne sont pas des démarches qui s’improvisent, nous nous sommes lancés voilà plusieurs années. Nous avons ainsi commencé par créer une plateforme dès 2004, à destination des élus de la communauté pour faciliter les convocations aux réunions et l’échange de documents. La quantité de travail demandée pour regrouper 55 maires et 85 conseillers pour les réunions statutaires est importante. Rien que la préparation et l’envoi de 140 courriers de convocations, dans les délais imposés par la loi, et l’impression des dossiers pour tous nous prenaient jusqu’à trois jours’ La possibilité de dématérialiser ce processus a été un vrai appel d’air. Le gain de temps, de fiabilité et même le gain budgétaire sur les documents ont été énormes. Pour 130 élus, je n’imprime plus que 14 dossiers papiers contre 36 000 pages de documents auparavant ! La convocation est gérée par e-mail où l’on fournit un lien qui permet d’accéder à notre intranet, avec identifiant et mot de passe, pour consulter le dossier, l’ordre du jour et les pièces qui seront projetées en séance.
Quels enseignements avez-vous tirés de cette première expérience ?
Elle nous a encouragés à poursuivre les efforts ! L’esprit d’une telle plateforme dématérialisée est qu’elle puisse servir, par extension, à tous les agents. Et plus encore, cet intranet doit pouvoir devenir un extranet pour des établissements comme les 40 écoles dont nous avons la responsabilité. Les plannings pourront être mis en ligne et seront consultables, mais cela permettra aussi de dématérialiser leurs procédures de commande de fournitures par exemple. Pour avancer progressivement, nous avons déjà travaillé sur le sujet de workflows et sur les outils de collaboration. Nos agents sont répartis partout sur le territoire, mieux échanger avec eux est devenu notre priorité. Cela passe par la généralisation des e-mails, mais aussi des calendriers partagés et des systèmes de partage de documents. Nos jeunes cadres sont extrêmement attentifs à ces détails. Si on ne propose pas ces outils, ils vont tout simplement s’en approprier d’autres : créer un « Doodle » pour organiser des rendez-vous ou utiliser Google Doc sur le web. Et au fur et à mesure, votre système d’information devient anarchique et incohérent. Il faut de la méthode, des procédures, des contrôles d’accès. C’est d’ailleurs exactement ce que demande le RGPD. Les avancées en termes de collaboration sont indissociables de cet enjeu de maîtrise et de rationalisation des usages des données.
Comment cela ?
La gestion des cycles de vie de l’information et des données est quelque chose de complexe. Il a donc fallu mettre les élus très tôt dans la boucle, au même titre que tous les collaborateurs, de la secrétaire au président, pour à la fois clarifier les gains apportés par la dématérialisation mais aussi la responsabilité que cela engendrait. Tout le monde jette ses papiers inutiles à la poubelle, puis la vide. Combien le font une fois ces documents dématérialisés ? Combien existe-t-il de poubelles dématérialisées, pleine à ras-bord, dans les coins reculés de nos serveurs et de nos ordinateurs ? La dématérialisation ne se fait pas n’importe comment. Sinon il suffirait d’e-mails et de pièce-jointe pour y arriver? Il faut être pointilleux : comprendre les flux, simplifier le stockage, rationnaliser l’infrastructure, harmoniser les processus et déployer les bons outils logiciels. C’est un tout.
Votre DSI était-elle préparée à ces changements ?
Nous devons gérer notre informatique centrale, mais aussi la capacité informatique de toutes nos mairies. Nous avons donc un DSI et une équipe de 5 personnes à temps plein, et nous faisons appel à une société de maintenance, en sus du service en régie que nous utilisons. Notre dépendance au numérique est devenue telle qu’une DSI ne peut porter cette responsabilité seule. Faire appel à un prestataire sur la partie d’ingénierie externe, en soutien sur tous nos sites ? comme les écoles par exemple ? permet de libérer du temps et de l’énergie à notre DSI. Il peut ainsi se concentrer sur ce qui compte vraiment dans une optique de dématérialisation : générer le confort qui va faire la différence pour les utilisateurs. Dématérialiser peut libérer les énergies, à condition d’avoir une vraie culture organisationnelle cohérente. C’est pourquoi l’engagement de la direction générale sur les projets est fondamental : ce n’est pas qu’un sujet de DSI.
Avez-vous un exemple pour illustrer ce rôle de catalyseur de la DG ?
Depuis le début de l’année, j?ai mis un référent informatique dans chaque service. Il permet de gérer les problèmes du quotidien, de répondre aux questions des utilisateurs et également de mieux faire le lien entre leurs problématiques métiers et la réalité des contraintes techniques auxquelles nous sommes confrontées. Enfin, il évite de demander aux métiers de s’adapter à l’informatique, en permettant à tous de s’impliquer sur la compréhension des enjeux. Il faut faire sortir la DSI de sa tour d’ivoire pour que les acteurs techniques s’imprègnent également de la culture et des besoins de nos métiers.
Comment voyez-vous l’avenir pour vos projets de dématérialisation ?
Je me pose encore de nombreuses questions ! Par exemple, nous avons de vrais « silos » métier avec chacun leur logiciel indépendant? Mais maintenant que nous avons commencé à harmoniser les usages en mode dématérialisé, la tentation est grande d’aller jusqu’au bout de la logique. Cela nous pousse à prendre en compte des sujets comme la dématérialisation de l’archivage par exemple et donc de la mise en place d’un coffre-fort électronique. Allons-nous vraiment devoir faire la même démarche pour chaque silo ? Ne risque-t-on pas d’empiler à outrance et de défaire la cohérence que l’on recherchait de prime abord ? Est-ce qu’il nous faut développer des GED métiers ou au contraire tendre vers une GED globale ? Faut-il un coffre-fort électronique transversal à nos besoins ? Et quels sont les impacts juridiques de tels choix face aux échéances réglementaires obligatoires ? Ce genre de questionnements va guider nos efforts de convergence sur toute l’organisation et définir le degré réel de transversalité que nous allons pouvoir mettre en place.
« Comment recréer une proximité numérique avec les citoyens sur un territoire très étendu ? ». Cette question a été le moteur de la réflexion du Grand Autunois Morvan pour la refonte de son site internet, qui s’est accompagnée de la dématérialisation de nombreux services pour les habitants. Lancée à l’automne 2017, l’initiative innovante pour faire du site un point d’interaction privilégié avec l’administration, a permis de faciliter de nombreux aspects de la vie quotidienne. « Aujourd’hui, 31 démarches sont possibles directement en ligne. Et nous avons compté plus de 1600 inscriptions aux services en moins de 6 mois, dont une majorité vient de nos territoires ruraux » témoigne Vanessa Barbosa, chargée de communication à la communauté de communes.
Et pour lancer un projet aussi structurant, rien de tel que de commencer par le service le plus attendu : l’inscription aux activités du centre nautique d’Autun. Depuis des années, de nombreux habitants exprimaient leurs frustrations de ne pas pouvoir réaliser d’inscription autrement qu’en se déplaçant, aux horaires de bureau, jusqu’au centre, alors que le nombre de places par activité était limité. La gestion dématérialisée en ligne a permis de rétablir l’égalité de traitement entre tous les usagers. « Les agents d’accueil se sont emparés également de l’outil en ligne pour faciliter leur quotidien. Cette réussite et les témoignages associés ont permis de rassurer. Nous avons pu capitaliser dessus pour faciliter nos autres projets » met en avant Vanessa Barbosa. Parmi eux : la gestion de l’inscription pour les parcours de transports scolaires, qu’empruntent chaque jour 2 000 élèves pour atteindre de nombreux arrêts locaux. Un sujet complexe dont la mise en place a pu être accélérée grâce à la multiplication des partages d’expériences des agents.